L’exil, l’art et la résilience sont au cœur du parcours d’Abdullatif Al Gimou, un artiste syrien aujourd’hui installé en France. Dans cette interview pour AVANGART, Abdullatif revient sur les bouleversements qui ont marqué sa vie et son œuvre, depuis sa fuite d’une Syrie en guerre après les printemps arabe jusqu’à sa transformation artistique dans l’Hexagone. À travers son récit, il nous offre un témoignage, à la croisée de la douleur de l’exil et de l’espoir que représente l’expression artistique libre.
Qui es tu ?
« Je m’appelle Abdullatif Al Gimou, je suis un artiste syrien, je vis actuellement en France. »
Quand tu as quitté la Syrie ? Pourquoi tu as choisi la France ?
« J’ai quitté la Syrie en décembre 2012 vers la Turquie, en 2021 j’ai quitté la Turquie et je suis venu en France. »
« J’ai choisi la France car j’ai demandé l’asile à l’ambassade française à Istanbul et par la suite l’ambassade m’a recontacté et on m’a attribué l’asile. Je suis heureux car la France est le pays qui m’a aidé et j’en suis très reconnaissant. »
En Syrie quelle était la vie d’un artiste lorsque tu y étais encore ?
« En Syrie, on vivait une guerre très violente, qui nous a détruits de l’intérieur. Après avoir quitté la Syrie, je me suis retrouvé dans un état de vagabondage matérielle, puisqu’il fallait trouver un endroit sûr pour vivre mais également émotionnel, retrouver la paix pour pouvoir dessiner.
Dun ’autre côté, parfois je ne pouvais pas m’exprimer de manière libre et sincère. Lorsque j’ai quitté mon pays, je me suis senti exilé et a ce moment, je n’étais pas heureux car loin de mon identité émotionnelle, loin de mes proches et loin de mon peuple.»
Comment décrirais-tu l’expression artistique quand tu vivais en Syrie ?
« En Syrie j’étais très restreint dans mon expression, il n’était pas possible de penser ce que l’on voulait et il y avait une pensée très stéréotypée. D’une certaine manière en l’acceptant, j’étais un serviteur du pouvoir et c’était un problème pour moi. »
Est-ce que le style ou les thèmes de tes tableaux ont changé depuis ton départ de la Syrie et depuis ton arrivée en France ?
« Mon style a forcément changé, tout d’abord j’ai vécu en Turquie et mon style a continué d’être le même : très dur, très sauvage, très douloureux. Ensuite, j’ai arrêté de peindre pendant 5 ans car j’ai senti que mon travail artistique n’était pas capable de bien exprimer la quantité de la douleur que je ressentais à cette période, mais cela a changé lors mon arrivée en France.
A ce moment-là, j’ai d’abord vécu dans une ville qui s’appelle Colmar, c’est une très belle ville, très propre et organisée.
Cela a eu un impact sur moi et sur mes pensées. C’est pour cela que maintenant mes tableaux sont plutôt propres et ordonnés, contrairement à mes tableaux précédent, ils étaient chaotiques et absurdes. »
Que ressens tu suite aux derniers évènements en Syrie avec la chute du gouvernement et l’arrivée au pouvoir des islamistes
« D’abord, la chute d’Assad, ou la chute du régime syrien, est une très belle nouvelle.
C’était un régime tyrannique qui était là depuis 54 ans, gouvernant le peuple syrien par l’injustice, les prisons et la persécution.
Il a veillé à détruire la dignité de l’Homme syrien, donc son départ est une joie extraordinaire, très importante, qui je l’espère va durer longtemps.
J’ai une expérience avec les Islamistes qui n’était pas bonne, mais actuellement le nouveau gouvernement essaye de donner des assurances sur sa politique à l’égard du peuple, ou bien se présenter d’une autre manière ce qui est bien en soi, mais cela ne fait pas tout et j’attends de voir leurs actions. Les paroles c’est bien, mais on doit attendre les actes, il me faudrait beaucoup de temps pour leur faire confiance. »
Penses-tu que le nouveau régime serait meilleur pour les artistes ?
« Cela dépend de la quantité de liberté que le nouveau gouvernement va accorder aux artistes, mais je crois, et cela est une vision optimiste ; je suis de nature optimiste ( il sourit), que cela peut être meilleur car il y a beaucoup de syriens qui ont expérimenté la liberté, notamment ceux qui sont venus en Europe. Donc je ne pense pas que les Syriens accepteront à nouveau en Syrie un régime autoritaire et répressif du peuple Syrien et en particulier des artistes. »
Est-ce que tu prévois de retourner en Syrie ?
« Bien sûr, je serai heureux de rentrer dans le pays qui m’a vu naitre, et j’ai donné à ce pays.
Au début j’étais contre le régime justement pour mon pays, j’aimerais vivre dans mon pays comme n’importe qui qui voudrait vivre dans son pays.
Mais en ce moment la situation est difficile, car la situation n’est pas encore bonne, et comme je vous ai dit, on attend actuellement de voir la forme du nouveau gouvernement.
Est-ce que sera un bon gouvernement ? on attend la rédaction d’une nouvelle constitution, la tenue des élections démocratiques, etc. et cela va prendre beaucoup de temps. »
Quels conseils tu donnerais à des jeunes artistes syriens ?
« Je ne pense pas que je sois de bon conseil, notamment pour les artistes, car je n’aime pas me prétendre plus important qu’eux, mais je souhaite que tous les artistes soient libres car la liberté est le plus important dans l’art, et c’est cette liberté qui va façonner notre nouvelle identité syrienne. »